|
DIX
QUESTIONS ADRESSÉES A JEAN CLAREBOUDT PAR GERARD-GEORGES
LEMAIRE (1979)
....En 65/66/ militaire en Allemagne, j'ai vu de près dans
les musées (et les musées suisses) les Amèricains,
l'action-painting et Rauschenberg, Johns, Dine... leurs «
events >> avec musiciens et danseurs m'avaient paru une ouverture
conséquente. L'uvre de Jean Degottex m'a fait une forte
impression dès que je l'ai abordée en 65. «
L'action/bois (69) m'a fort intrigué...
En 71 ma rencontre et une collaboration suivie avec Bob Wilson ont
été aussi déterminantes.
Rencontres et jalons qui ont posé les termes essentiels de
mon travail - ESPACE - CORPS - GESTE, non limités à
une technique précise, encore moins un métier.
2/
Dans l'exercice même de la peinture, avez-vous le sentiment
de poursuivre un récit, de relater quelque chose que vous
ne sauriez autrement écrire, ou pensez-vous vous jeter dans
le vide en employant des instruments dont vous n'auriez qu'une maîtrise
provisoire ?
Dans l'exercice même de la vie plutôt. Vie et pratique
font corps.
Le faire implique un dé-faire. Attention permanente du corps
(ne pas entendre ici dissociation physique/mental).
DESIR de faire, PLAISIR d'être. Action, réflexion.
Dépense, usure. Pertes, dépôts de plus et de
moins.
Cela présente. Le second degré du narratif ne me passionne
pas. La distanciation qui fait suite à l'implication, au
faire, elle m'intéresse.
Pensez-vous que cela fasse récit ? J'ai le sentiment que
cela fait trou, béance.
3/
Eprouvez-vous le besoin de traduire en termes picturaux ce que vous
avez entrepris par Ie dessin ou, réciproquement, tendez-vous
à élargir vos propositions sur toile par des applications
et des variations par l'intermédiaire de différents
médiums.
Vous avez parlé de récit, maintenant de traduction.
Je pense plutôt à un champ dexpérimentatlon
détermmé par un choix. Le changement de technlques,
de médiums va élargir, enrichir ce champ par la vie
et les possibles propres à ces médiums. Cela se développe
en séquences, séries et va-et-vient incessant. DES
OUVERTURES apparaissent, font déborder un nouveau terrain
par exemple un aspect du silence procède des cadrages.
4/
Vos rêves jouent-ils un grand rôle dans l'élaboration
de vos uvres ?
Je suis en effet très attentif à mes rêves.
Je les ai transcrits systématiquement durant une longue période,
le plus immédiatement possible dans un état de demi-
sommeil et sans trop chercher à les mettre en forme.
Il me sembIaie important de donner à ce plan de conscienced'existenceautant
dinterêt qua celui de veille et de percevoir leur
interférences. Il y eut d'étonnantes implications
du travail au rêve et du rêve au travail. -
Je n'ai par contre jamais été tenté de les
faire interpréterou de le faire (interprétation
évidemment différentes selon les modes de décryptement
et les individus) Un sens privilégié aurait limité
la mise jour.
Lentraînement et lhabitude mont fait rêver
à un certain moment que je les transcrivais! J'ai immédiatement
arrêté de les noter.
L'ennui signale souvent l'épuisement d'une expérimentation.
5/
Vous arrive-t-il d'ignorer aprés coup la signification ou
la motivation initiale de l'un de vos travaux?
Il me semble difficile d'ignorer la motivation initiale de mon travail,
même ancien. La vision, la rencontre me ressituent dans le
vécu de cette expérience, immédiatement, de
la motivation à cette présence par la traversée,
les errements.
Le problème de la signification est différent. Pas
de traduction, pas d'interprétation: ma distance et mon silence
sont plus de lattitude, de liberté donnée au regardeur.
Les << écrans », « cadrages », <<
gués », « ancrages », les pièces
constituant Un aspect du silence ici présentées
(certaines denses et pleines renvoient à l'espace environnant,
au regardeur; d'autres sont traversables) offrent cette liberté.
La question de la production de sens donnée par le regardeur
m'a préoccuppée, notamment à propos de l'environnement
présenté en 73 à la 8e biennale de Paris. Cela
a fait l'objet d'une manifestation intitulée « Sitologie
Mnémonique » en 74 à la galerie l'il de
Buf. Etaient présentées les mises au jour des
espaces mentaux et mnémoniques de personnes ayant vécu,
donné sens à cet environnement disparu.
6/
Regardez-vous vos uvres comme des moments de l'esprit, comme
des fixations de la mémoire, des fragments autobiagraphiques...
?
Ces travaux sont PROPOSITIONS, incitations à regard réellement
actif.
Ce sont effectivement des moments pourquoi dites-vous de
l'esprit ? Jalons d'un parcours engageant l'être entier
sans exclusive.
Les pièces portent leur propre généalogie et
l'exercice implique la rencontre de l'être avec les médiums,
coïncidences de temps et d'espaces en un lieu.
Que l'autobiographie, la mémoire y soient contenus m'est
évident, au même titre que le corps, les pulsions,
l'inconscient, la réflexion. C'est peut-être une autobiographie
de moins ... Décantation. Moments résiduels, cendres,
épaves...
7/
Vous avez récemment exposé vos carnets de voyage.
De quoi se consti-tuent-ils ? Que consignent-ils ?
Voyages: déplacements et voyages de peu. Ni les uns ni les
autres ne sont valorisés. Ils ont leur temps propre qui se
superpose et se mêle souvent.
Notation de peu, de ces riens où se crée le regard.
Les voyages sont mise en situation d'où QUELQUE CHOSE peut
surgir... ou pas. Etat de disponibilité, Etre attentif, voir,
être agi.. Certains plans de l'être travaillent, surtout
l'inconscient, il faut que cela soit possible,puisse se faire. Les
carnets sont faits de ces moments, voyages aussi à l'intérieur
du travail. Les dimensions changent, l'attitude est là
même.
Ainsi le carnet 25, intitulé « CYCLADIQUES »,
tenu du 9 août au 12 septembre1977, dans cette région
de Grèce est fait de:
dessins (annotations d'espaces, de lieux, de travail),
collages (matériaux utilisés en premier dans
la pratique des lieux: tickets
trouvailles conservées pour leur aspect, leurs couleurs,
leurs caractères
imprimés différents),
cartes postales,
articles de journaux,
plantes,
notes écrites (lieux, espaces, vocables, réflexions
culturellesarchitecture, art archaïque et classique,
fresques, icônes notes de travail dans l'environnement),
papiers divers ramassés pour leurs textures.
Il me plait que les carnets se referment, qu'ils fassent eux aussi
SILENCE
8/
Lorsque vous inventez une pièce dans les trois dimensions,
pensez-vous agir comme sculpteur ou comme peintre articulant quelques-unes
des ses intuitions dans l'espace ?
Je n'invente rien! Les séquences de travail me portent vers
des inventaires et des épuisements de possibles. Le travail
a sa propre logique. J'utilise la couleur et les trois dimensions
sans problèmes spécifiquement picturaux ou sculpturaux,
bien qu'ils peuvent y être contenus, ils ne sont pas prioritaires.
L'intuition, pour s'articuler, nécessite un a-justement avec
le corps et le corps en formation de la pièce. Si cela ne
se fait pas il y a malaise, douleur. Quand cela se fait la forme
vient « naturellement » bien.
9/
Certaines de vos grandes toiles libres sont comme amarrées
au sol par de lourdes cordes attachées à des branches
ou à des troncs. Quelle impression comptez-vous ainsi produire
sur le regardeur de cet évènement plastique ?
le mot évènement est très juste: cela présente.
La couleur (et sa fluidité), la toile installent un aspect
vertical et distant en relation avec le passage/sol horizontal.
Passage/sol proche, très matérialisé. Troncs
d'arbres, branchages associés à d'autres matériaux,
poteaux d'ardoise, roches, etc., passages condensés corporalisés
à l'inverse de la peinture classique (puis académique).
Passages à lire, à effectuer. Les développements
récents les « gués >> démembrent
le
passage, geste apparement négatif pour que le regardeur le
reconstitue par la lecture.
Les cordages installent les relations avec les deux zones de la
toile, opèrent amarrages et circulations entre les deux parts
du lieu
Dernièrement avec les « ancrages », le regardeur
est ce lieu/acte d'un passage redressé, vertical, axial.
10/
Quelle place tient le langage dans la fabrication d'un tableau
?
Nous devons élargir cette question à l'exercice total
et non seulement au temps souvent bref de la réalisation
des pièces.
co-incidence silencieuse de la vue et de l'objet
dans l'oublié de la bouche
la LANGUE
se gonfle, se tasse contre la paroi des dents
se renfle sur les inscriptions du palais
SALIVE
VIGIE. Tension de la vue sans objet
Découverte
CRI et corps dénoué (cordes nouées)
la langue veille palpitations humides
Le langage uvre au même titre que les rencontres, voyages
et médiums; que les rêves.
Il me paraît, à l'état de veille, leur exacte
équivalence: production, postillons soufflés
de l'inconscient, SURGISSEMENT. C'est dire que le langage n'est
pas pour moi savoir faire mais, là encore, mise au jour.
Toutes ces DONNÉES travaillent, se mêlent, glissent.
ricochent: relations et interférences à capter pour
y voir plus clalr.
|